Alice Martinez-Richter

exergue Ce qu'elle a à exprimer, c'est une grande et calme force de vivante. Le monde est solide et beau pour elle.

Jean-Louis Audin, critique d'art (1950)   exergue

Vue par ses contemporains

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Nu à la mer bleue

Vers 1937 - Huile sur toile - 81 x 65 cm

Nu à la mer bleue

Nu à la mer bleue

Vers 1937 - Huile sur toile - 81 x 65 cm

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J'ai parlé de plénitude. C'était celle des corps, La peinture tout entière d'Alice Martinez respire cette même plénitude - charnelle - qu'elle reproduise les traits expressifs de Christian, son fils, ou qu'elle s'inspire de la campagne de Draveil, qu'elle fixe l'attitude d'une belle fille dévêtue ou quelle rectifie l'assemblage fortuit des légumes au bord de la table de cuisine. Il y a moins de sensualité d'ailleurs que d'humanité dans cette exaltation de l'existence omniprésente. Si Alice Martinez se tient à proximité très proche de la vie végétative, immédiate, c'est parce qu'elle déborde d'une grande tendresse et d'un grand respect pour tout ce qui est vivant ; elle sait que l'espèce, les espèces, continuent, sans cesse de s'engendrer ; que la pérennité de l'existence est la seule réalité dont nous sommes sûrs. L'Esprit lui-même est-il autre chose que le meilleur de ce qui croît et demeure, le noyau permanent de ce qui fut et devient ?

Aussi quand Alice Martinez - hantée par le thème du Christ, homme-Dieu né d'une femme - entreprendra des compositions d'inspiration religieuse, donnera-t-elle au fils les traits d'un homme, non d'un ange. Ce Christ aux oliviers, sa meilleure toile, c'est d'une déréliction bien humaine qu'il est atteint ; à genoux, à demi-dévêtu, le front courbé vers la terre, les mains ouvertes pendantes à ses côtés, il semble encore agité, dans son acceptation même de la volonté divine, du regret du monde où il fait bon vivre à l'homme sans inquiétude. Son anatomie est d'un réalisme accompli ; il est maigre et laid : ainsi devait-il être, n'en déplaise à nos enlumineurs idolâtres de chemins de croix en série. Un jour Alice Martinez peindra le Christ en croix, tel que sa foi l'imagine : un misérable aux chairs boursouflées, la bouche comme un trou noir, la face souillée de crachats, un pauvre homme en qui s'incarne toute la douleur du monde abandonné !

En attendant elle a peint cette veillée d'armes terrible : Jésus sait qu'il est trahi, qu'il mourra de la main de ses semblables ; il accepte cette mort ignominieuse et royale ; derrière lui, inconscients, les apôtres dorment paisiblement ; il est seul ; nul n'a jamais été plus seul ...

La mise en page de cette toile - de très grand format - est d'une belle hardiesse. Abandonnant l'habituel équilibre qui préside à ses compositions, l'artiste a excentré son modèle vers la gauche, en tout premier plan, pour mieux suggérer qu'il est seul et en avant de ses disciples, lesquels, logés à l'extrémité droite, tout en haut, n'en dorment que plus profondément, plus indifféremment. Hormis quelques oliviers, plutôt indiqués que peints, il n'y a rien d'autre dans le tableau que ce veilleur divin et ces dormeurs terrestres. Tout le reste de la toile est empli par une étendue monochrome uniforme, désertique, ce qui accentue encore la solitude du Christ ; quelques cailloux épars ont cependant été jetés d'un pinceau rapide, pour donner quelque vie plastique à un à-plat qui eut été périlleux par sa grande dimension. 

Si je me suis longuement étendu sur ce tableau, c'est non seulement parce que je vois en lui le chef d'œuvre d'Alice Martinez, mais parce qu'il me paraît être, dans l'oeuvre de cette dernière, le point de départ d'une évolution décisive. Comme Suzanne Valadon, que je ne nommais pas par hasard au début de cet article, l'auteur du Christ aux oliviers me semble parfaitement doué pour les grands espaces, où l'exaltation des corps fait ses meilleures flambées : sa Femme du Sud m'en est une preuve supplémentaire (Galerie Bernheim), où s'affirme en outre un goût de la couleur pour la couleur qui est encore joie de vivre et promesse de création.

Jean-Louis Audin,
Les Lettres et les Arts - août 1950

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